La mauvaise surprise d'une soirée
Dans le bureau récemment repeint, Daniel est parmi une dizaine de personnes. Il a fait la connaissance d’Herbert, un homme d’une trentaine d’années qu’il trouve plutôt étrange. Il ne se rappelle pas exactement comment il a fait sa connaissance et comment ils sont devenus plus ou moins amis. La seule chose qu’il sait est qu’il l’a rencontré dans le cadre d’un job. Quelques semaines plus tard, Daniel commence à le considérer comme étant un peu fou et se dit qu’il vaut mieux ne pas écouter cet homme qui tient des propos totalement incohérents. Un soir, vers 19 heures, Herbert lui propose de vernir avec lui à une vague soirée dont il ne donne aucune précision. Bien que constatant que cet individu est borderline, et même un peu plus loin que la limite, il décide tout de même d’aller avec lui à cette sortie. Ils prennent le métro et se retrouvent dans ce lieu qui a toujours paru à Daniel comme étant une sorte d’énorme tube de comprimés médicamenteux, où des hommes et des femmes sont pris d’une violente migraine dont rien ne semble les soulager. Il parcourent une dizaine de stations et regagnent la sortie comme deux hommes qui refont surface après avoir évité la noyade. Daniel inspire une grande bouffée d’air tiède et ils commencent à marcher sur le trottoir d’une très grande avenue d’où émane une impression d’artifice, avec des vitrines bardées d’ampoules électriques diffusant une lumière dans une explosion de kilowatts. Il n’apprécie pas cet endroit de la ville. C’est un lieu qu’il n’a jamais aimé et dont il arpente ce soir le trottoir. Il arrivent alors devant une très grande entrée dont l’apparence est celle d’une entreprise. Daniel ne fait pas attention à ce qui est indiqué dans le hall qu’ils traversent et ils prennent un ascenseur en montant jusqu’au troisième étage sans savoir où il se rend. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Il constate, avec une envie de quitter immédiatement les lieux, qu’il se trouve dans une régie de télévision. Il suit Herbert en passant dans un dédale d’écrans et où de nombreuses personnes sont occupées à manipuler des potentiomètres, des manettes, tout ce qui est nécessaire au fonctionnement d’une régie. La soirée se transforme à présent en abomination, et Daniel n’a qu’une envie: celle de laisser Herbert en plan et de rentrer chez lui. Cependant ce dernier lui demande de le suivre. Daniel acquiesce et ils arrivent à un endroit de la régie où l’on peut voir directement un plateau de télévision sur lequel Léon Zitrone est en train d’être filmé pour une émission. Daniel n’en peut plus, il souhaite quitter les lieux immédiatement, et cherche un moyen pour sortir de ce studio de télévision qui le hérisse. Il n’a que faire de Léon Zitrone et de tous ces individus qui peuplent les plateaux TV. Du reste, il n’a jamais eu de téléviseur. Il essaie de convaincre, sans trop le brusquer, Herbert, en lui disant qu’il se sent fatigué et qu’il veut quitter cet endroit. Léon Zitrone et cette cinquantaine d’écrans lui donnent la nausée. A partir de cet instant, Herbert se dit qu’il n’aura jamais pour amis des personnes qui ont un téléviseur. De modéré son choix passe à un radicalisme sans concession. Car auparavant, même s’il n’avait pas de téléviseur, il tolérait encore ceux qui en avaient un. Mais à présent sa décision devient extrême. Désormais toute personne qui a quelque proximité avec le télévisuel ne fera pas partie de ses relations, proches ou lointaines. Depuis le simple fait de détenir un téléviseur jusqu’au stade gradué qui consiste à travailler pour ce petit écran. Il ne veut pas savoir ce qui s’y passe et bannit tout individu, et sans recours possible, toute personne qui n’ignore pas totalement, comme il l’a toujours fait, cet écran télévisuel. Daniel a vingt ans. Et il ne dérogera jamais à cette règle durant toute sa vie. Par de multiples pirouettes, il réussit à amener Herbert à choisir de sortir des studios de télévision. Puis ils se quittent et rentrent chez eux.
© Serge Muscat – Septembre 2025.