La messagerie électronique et les transformations culturelles du rapport à l'écrit.

Rédigé par Serge Muscat Aucun commentaire
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La généralisation de la messagerie électronique dans toutes les activités de communication en remplacement du courrier postal utilisé depuis des siècles a amené divers auteurs à se demander si notre société n'allait pas devenir amnésique, du fait de la très grande perte d'informations générée par l'effacement des données. Si les documents audiovisuels ne peuvent être conservés sur un support papier, en revanche les documents écrits et iconographiques peuvent être conservés sur du papier. Face à cela, les partisans du tout électronique mettent en avant le caractère écologique de la messagerie électronique qui permet de ne plus couper d'arbres pour fabriquer du papier. Cet argument n'a en fait pas de fondements solides étant donné que la fabrication de technologies numériques produit plus de déchets que la production de papier. De plus, il est possible de réaliser ce dernier avec d'autres végétaux que les arbres.

Si l'informatique permet de réaliser des tâches avec une très grande rapidité, la disparition du courrier postal provoque des incidents que nous constatons au quotidien: effacement de répertoire électronique, de courriels, etc. Jusqu'à parfois perdre définitivement des contacts dont nous ne possédions exclusivement que les coordonnées électroniques. C'est aussi la contrepartie du tout numérique. Et nous sommes chaque jour confrontés à cette réalité.

Il serait donc préférable de considérer le courrier électronique comme une sorte de message oral, du même ordre qu'une conversation téléphonique, et réserver une partie des documents écrits exclusivement sur support papier. Ceci va bien entendu à l'encontre des assauts successifs des constructeurs qui cherchent à vendre des lecteurs de livres électroniques en tentant de convaincre les clients par les performances de leurs dernières nouveautés. Malheureusement les liseuses électroniques se sont avérées être un fiasco économique puisqu'elles n'ont pas réussi à remplacer le livre papier et que les ventes n'ont pas été au rendez-vous. 

D'autre part, avec la dématérialisation du document écrit se produit également un certain relâchement dans la rédaction de ces documents, qui par certains côtés ressemble à la production orale, avec toutes les caractéristiques que comporte la culture orale: déformation lors de la transmission des informations, phénomène du « parler pour ne rien dire juste pour s'entendre parler », etc. De plus, même si cela semble une évidence, certains oublient un peu vite le fait que savoir se servir d'un simple stylobille pour écrire un document est d'une plus grande utilité que de savoir maîtriser un système d'exploitation informatique, en ne sachant plus prendre des notes sur un simple bloc de papier. La précipitation des industriels sur la fabrication de nouveaux produits à des fins de profits ne doit pas faire oublier aux utilisateurs toutes les conséquences et les comportements qu'induisent ces équipements. Comme l'écrivait Platon, « une science de l'usage est nécessairement toujours plus haute qu'une science de la production: c'est le musicien, celui qui se sert de la lyre, qui est le seul juge de sa qualité ».

Ainsi il est quelque peu paradoxal que de grands constructeurs d'ordinateurs fassent du prosélytisme pour la vente de portables à bon marché vers les pays en voie de développement alors que le taux de scolarisation de la population est très loin des 100%. Comment un élève pourrait-il bien maîtriser l'outil complexe qu'est l'ordinateur s'il ne maîtrise pas au préalable correctement la lecture et l'écriture sur le support papier? Ces contradictions sont pourtant totalement absentes des discours que tiennent ces constructeurs.

Il est à remarquer également que les informaticiens qui utilisent les ordinateurs ne posent pas les bases d'une réflexion approfondie sur les machines et les logiciels avec lesquels ils travaillent en utilisant l'apport des sciences humaines. Car les informaticiens n'ont quasiment aucune connaissance en sciences humaines. Si vous leur posez certaines questions par exemple sur la sémiologie, sur la psychologie ou tout autre domaine des sciences humaines ils ne sauront pas quoi répondre. Ou alors ils éluderont la question en disant que c'est secondaire. Mais par exemple comprendre ce qu'est un "signe" dans toutes ses dimensions permet également de mieux réaliser des interfaces graphiques dont nombreuses sont celles qui sont mal conçues, et où les utilisateurs sont également totalement désorientés pour certaines utilisations.

La messagerie généralisée et les différents rapports à l'écrit avec l'informatique "au sens large" sont donc dans une constante transformation dont le résultat n'est pas toujours celui que les constructeurs et les utilisateurs espéraient.  Pauvreté extrême des "courriels" en ce qui concerne leur contenu sémantique, leur syntaxe ainsi que les choix lexicaux qui sont ceux "de la vie ordinaire" sans même y parvenir parfois. Nous pourrions presque parler "d'une misère informationnelle" dans les mails qui circulent chaque jour sur Internet. C'est aussi l'autre face de la messagerie électronique qui est tel Janus, malgré son instantanéité qui permet de gagner du temps par rapport au courrier postal qui a presque disparu de nos jours.

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