A l’heure actuelle où les médias de masse se passionnent pour cette nouvelle technologie en la présentant, pour la plupart, comme une solution à de nombreux problèmes humains, il serait peut-être bon de prendre un peu de recul et de réfléchir sur ces machines qui ne sont que le fruit de l’invention humaine.
Les questions que soulève l’IA sont si nombreuses qu’il est impossible de les traiter toutes. Aussi n’aborderons-nous que quelques unes d’entre elles.
Une IA repose, pour fonctionner, sur des ordinateurs. Les ordinateurs existent déjà depuis plusieurs décennies. Or avec l’IA l’ordinateur semble pouvoir réaliser des choses qui n’étaient pas possibles auparavant. Que s’est-il donc passé ? Cette nouvelle possibilité vient donc de la façon de programmer les ordinateurs. Ce qui caractérise l’IA provient de la manière de réaliser des programmes. Qu’est-ce qu’un programme ? C’est une suite d’opérations logiques qui s’appliquent à des modèles mathématiques qui pilotent la machine. Donc les modèles mathématiques sont au centre de l’IA. Ainsi se pose la question de savoir ce que peuvent les mathématiques, puisqu’elles sont utilisées par l’IA. Les mathématiques peuvent-elles tout expliquer, par exemple ce qu’est le désir ou l’élan vital dont parlait Bergson ? Pour le moment les mathématiques n’ont pas apporté d’explications à ces deux choses ainsi qu’à d’innombrables autres. Les mathématiques ne sont qu’un langage (on parle de langage mathématique) parmi d’autres langages. Le langage naturel, donc celui utilisé ici, possède autant de possibilités que le langage mathématique, lequel repose en grande partie sur le langage naturel, car les symboles utilisés en mathématiques renvoient à des mots du langage naturel qui eux-mêmes forment des concepts. Donc L’IA n’est qu’une machine dans laquelle l’homme y a incorporé des mathématiques qui ne sont qu’une création humaine. On en revient donc à l’homme.
De fil en aiguille on s’aperçoit bien vite que l’IA n’est qu’un reflet de ceux qui la construisent, et que ces individus ont une culture complexe, avec par exemple des croyances et des désirs. Les modèles mathématiques ne sont qu’au service de toutes les informations traitées par l’ordinateur qui sont au sens large la connaissance. Car une IA fonctionne avec des programmes basés sur les mathématiques et également, sans quoi l’IA ne produirait aucun résultat, une somme considérable de données qui ne sont que des connaissances produites par les hommes et qui ne sont également que des savoirs temporaires qui pourront être réfutés par d’autres hommes en tentant de s’approcher de la vérité.
Ainsi l’IA est une sorte de distributeur très rapide d’informations déjà inventées par des hommes particuliers et possédant une culture propre. Les informations que traite l’IA, donc l’ordinateur, ne sont que des informations préexistantes entrées dans la machine par des milliers d’opérateurs de saisie. Et lorsque l’IA utilise les informations du web, ce sont aussi des informations qui ont l’humain pour origine (les textes rédigés par les internautes, les réponses à des questionnaires, etc). Que cela soit les opérateurs de saisie ou le web, les informations ont dans tous les cas, lorsqu’on remonte à la source, l’homme pour origine. Donc l’IA est une sorte de reflet des hommes, sans avoir la moindre autonomie. La machine ne pense pas, pas plus qu’elle n’a de désirs.
A partir de là, il n’y a pas « une » mais « des » IA, comme il n’y a pas un homme mais des hommes. Ainsi chaque pays, pour ne pas dire groupe d’individus, va chercher à créer son IA en défendant sa propre culture, puisque l’IA n’est qu’un reflet de ceux qui la fabriquent. Ainsi ChatGPT va répondre d’une certaine manière à certaines questions. Mais ces réponses ne sont pas inventées de toute pièce par la machine et dépendent du programme et des données qui sont produites par les concepteurs de ChatGPT. Ainsi un programme de traduction de textes ne fait que traduire un texte selon le programme et les données qui sont entrés dans l’ordinateur. Est-ce la bonne traduction ? Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? L’IA ne traduit le texte que par rapport aux informations dont elle dispose pour son fonctionnement. Et ces informations proviennent encore des hommes qui ont une culture, des croyances et des désirs. Le programme et les données ne sont que l’objectivité de celles et ceux qui sont à la source de ces informations.
Il y a une multitude de façons de traduire un texte car il n’y a pas vraiment de correspondance totale entre les langues. Les langues sont le résultat d’une culture où tout vient s’agréger sur le langage, le climat, le genre de nourriture, la faune, la flore, etc. C’est l’homme qui invente les mots pour désigner tout cela. Comment traduire par exemple tous les états de la neige dont parlent les peuples de l’extrême nord pour les faire comprendre à un peuple du désert ? Comment faire correspondre dans la traduction tous les mots inventés par les peuples du nord aux mots qui n’existent par exemple pas chez les peuples qui vivent dans le désert, étant donné que leur vocabulaire correspond à leur réalité vécue au quotidien ?
On voit donc bien vite l’étendue de la complexité des problèmes posés. Et l’IA ne traduit un texte que par rapport aux informations qui ont été entrées dans l’ordinateur. Ainsi chaque IA proposera dans le cadre d’une traduction son propre texte qui sera différent des autres IA. Il n’y a pas une traduction universelle qui serait plus objective que les autres, car il y a une multitude de cultures et d’individus à la source des programmes et des données. Vous pourrez vérifier ceci en posant par exemple strictement la même question à plusieurs IA différentes. S’il existait une objectivité universelle dont l’ordinateur serait la source, on devrait par conséquent obtenir strictement la même réponse avec strictement le même texte. Or on s’aperçoit qu’il y a de grandes différences et de grandes variations dont la cause est la différence des individus et des cultures de ceux qui ont réalisé chaque IA. Par conséquent un ordinateur n’est pas plus objectif à lui seul que ne le sont les humains. L’ordinateur ne fait que refléter la subjectivité de ceux qui ont participé à sa réalisation et au choix des données.
Ainsi l’IA en elle-même ne détient aucune vérité. Sa seule vérité est la vérité que lui proposent chaque homme et chaque culture. C’est seulement un outil qui peut aider à la présentation et à la proposition des solutions que donnent les hommes. L’ordinateur en lui-même ne propose rien de plus que ce que proposent les hommes. Car l’ordinateur n’est pas un homme mais juste une création de celui-ci. Si l’ordinateur est une création humaine, il est également impossible d’expliquer ce qu’est l’homme. Et l’ordinateur à lui seul ne pourra probablement jamais expliquer ce qu’est l’homme étant donné que celui-ci est le fruit de l’intelligence humaine. Les réponses sont donc à chercher dans l’homme, qui est le seul être vivant à questionner le monde et l’univers. L’IA l’aidera dans cette tâche mais ne sera qu’une aide parmi de très nombreux autres outils. La réponse finale sera donnée par l’homme et non par ses créations technologiques. L’ordinateur n’est pas Dieu. Et pourtant beaucoup de gens actuellement croient en l’ordinateur comme un croyant s’agenouille en pensant à Dieu. L’IA n’apportera pas plus de réponses que la pierre taillée chez les hommes préhistoriques. L’IA les aidera peut-être à vivre mieux s’ils en font un bon usage. Mais s’ils l’utilisent mal, l’IA pourra aussi servir à dominer d’autres hommes et à faire la guerre. L’IA ne sera que ce que les hommes choisiront qu’elle soit, c’est-à-dire espoir et croyance en l’homme ou alors nihilisme et destruction jusqu’à peut-être l’éradication de l’espèce humaine. Ce n’est pas l’IA qui choisira à la place de l’homme, car celle-ci ne possède pas de désirs. Il n’y a que l’homme qui est une sorte de machine désirante. Et de là provient sa force mais aussi sa faiblesse ●
© Serge Muscat – février 2025.